À LA DÉCOUVERTE DE... LA MÉTHODE KAWAISHI
Mikinosuke Kawaishi est né le 13 août 1899 à Himeji dans l’ouest du Japon, près de Kobe.
Il commence le judo au lycée et devient la seule ceinture noire de son établissement.
Il quitte sa famille pour aller faire des études à Tokyo, à l’Université Waseda, réputée pour son niveau universitaire mais aussi pour ses judokas. Outre ses études en Economie Politique, il pratique assidument le judo à son université et au Kodokan pendant cinq ans.
À l’époque, il n’existe que des compétitions par équipe et c’est en combattant avec l’équipe de l’est dans la fameuse opposition entre les rouges et les blancs qu’il vaincra quatre adversaires plus un match nul et qu’il obtiendra son 4ème dan de Maître Jigoro Kano créateur du judo.
Tout en continuant ses études aux Etats-Unis il enseignera le judo à New-York.
En débarquant à Paris le 1er octobre 1935, Mikinosuke Kawaishi avait pour but de découvrir un pays où le judo serait encore inconnu.
Le 1er décembre de la même année, il ouvre le Club Juif avec Victor Mirkin et le Club Franco-Japonais de judo. Les élèves mettront beaucoup de temps à venir expérimenter les chutes sur des bâches recouvrant une couche de sciure de bois. Le premier inscrit au Club se nomme Maurice Cottereau, il sera le pionnier qui gravira les échelons matérialisés par les ceintures de couleur et à réussir son examen d’obtention de la ceinture noire en 1939.
L’originalité de la méthode Kawaishi, bien différente de celle pratiquée au Japon, est due à un constat : celui d’une inadaptation de l’enseignement dans les différents pays visités, souvent calqués sur les procédés japonais. Dans les pays de l’ouest, le judo ne peut être envisagé au départ que comme une activité de loisir, alors qu’il constitue une activité obligatoire dans les écoles au Japon. Il faut trouver une méthode simple et attractive pour créer un désir de progression. De cette idée est née la méthode qui porte son nom.
Quelles sont les différences ?
Entrée en matière dès la première séance : l’élève apprend à chuter et à projeter alors qu’au Japon il doit savoir chuter avant d’apprendre des techniques de projection.
Une progression basée sur l’obtention d’une ceinture plus foncée que la précédente : blanche, jaune, orange, verte, bleue et marron avant d’arriver à la ceinture noire. À chaque ceinture, correspond un programme d’enseignement qui donne au pratiquant la sensation de progresser et lui apporte une variété de techniques à travailler pour éviter la lassitude.
L’adaptation des exercices en simplifiant les rôles, par exemple le « randori souple » permet l’apprentissage des chutes et le travail technique en obligeant les protagonistes à alterner chutes et projections.
Le classement des techniques par famille (mouvements de jambe, bras, épaule, hanche) et leur numérotation apporte une alternative à la dénomination du mouvement : par exemple, o soto gari ou 1er mouvement de jambe. Ce système de classement permet à l’élève de mémoriser plus facilement le programme à travailler pour la ceinture supérieure dont l’obtention est un moteur certain de travail et d’assiduité.
Les techniques à étudier sont adaptées à la morphologie européenne, par exemple : l’enseignement de Sode tsuri komi goshi sera privilégié à celui de Tsuri komi goshi qui demande une plus grande flexion sur les jambes ou Ippon seoi nage en 1er mouvement d’épaule plutôt que (Morote) seoi nage pour la même raison.
Les termes d’arbitrage sont dits en français : « point » au lieu de « ippon » ou « demi-point » à la place de « Waza- ari ». Sachant que les demi-points de l’époque correspondent à de vrais Waza-ari.
La sécurité est très importante et les élèves ne peuvent pratiquer le « randori compétition », équivalant du « randori » actuel avant d’être ceinture orange sauf s’ils le font avec une ceinture marron ou noire.
Le « Ne waza » travail au sol est mis en avant, il permet un renforcement physique sans risque et une pratique plus intense dans des dojos exigus. Les clés de jambe et de cou pratiquées avec prudence à partir de la ceinture marron permettent un affermissement des muscles des jambes et du cou.
La self défense (Goshin jitsu) permet à chaque fin de séance un retour au calme tout en ramenant le judo à une des motivations premières des pratiquants.
Le témoignage de René Chancerel (C. N. n°46) à Claude Thibault nous éclaire sur la façon d’enseigner à Paris, avant l’arrivée de M. Kawaishi, au début des années 1930 d’un judoka réputé, Keihichi Ishiguro, ami et senpai de Mikinosuke Kawaishi à l’Université Waseda de Tokyo.
« J’ai été l’élève de Ishiguro au cours de l’année 1931[…] Je me souviens que son enseignement n’était pas très varié : quelques exercices d’assouplissement, des chutes, trois ou quatre immobilisations, voilà le plan de la leçon, même pas le programme de la ceinture jaune de Kawaishi. Quant à la phase d’application elle se déroulait ainsi : Ishiguro, à partir de la station debout, demandait que l’on reste sur ses deux jambes le plus longtemps possible et il vous projetait au sol, vous imaginez avec quelle aisance, 15 ou 20 fois de suite, d’ailleurs sans souffrance ; la dernière chute suivie d’une immobilisation, impossible d’en sortir évidemment et une douche pour terminer ![…] Si je me repère avec ce que j’ai connu par la suite en judo, j’ai la conviction qu’il n’avait pas l’intention de développer son enseignement… »
À son départ pour le Japon en 1944, les élèves les plus avancés ont appris :
Sept techniques de Jambe :
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1er de jambe = O soto gari,
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2ème de jambe = De ashi barai,
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3ème de jambe = Hiza guruma,
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4ème de jambe = Ko soto gake,
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5 ème de jambe = O uchi gari,
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6ème de jambe = Ko uchi gari,
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7ème de jambe = Okuri ashi barai.
Dix techniques de Hanche :
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1er de hanche = Uki goshi,
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2ème de hanche = Kubi nage,
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3ème de hanche = Tsuri goshi,
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4ème de hanche = Koshi guruma,
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5ème de hanche = Harai goshi,
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6ème de hanche = Hané goshi,
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7ème de hanche = Ushiro goshi,
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8ème de hanche = Sode tsuri komi goshi,
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9ème de hanche = Utsuri goshi,
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10ème de hanche = Uchi mata.
Trois techniques d’Epaule :
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1er d’épaule = Ippon seoi nage,
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2ème d’épaule = Moroté seoi nage,
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3ème d’épaule = Kata guruma.
Cinq mouvements de Bras :
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1er de bras = Tai otoshi,
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2ème de bras = Uki otoshi,
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3ème de bras = Hiji otoshi,
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4ème de bras = Sukui nage,
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5ème de bras = Mochiage otoshi.
Dix techniques de Sutemi :
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1er sutemi = Tomoe nage,
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2ème sutemi = Yoko tomoe,
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3ème sutemi = Maki tomoe,
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4ème sutemi = Soto makikomi,
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5ème sutemi = Yoko gake,
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6ème sutemi = Tani otoshi,
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7ème sutemi = Sumi gaeshi,
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8ème sutemi = Uki waza,
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9ème sutemi = Kani basami,
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10ème sutemi = Yoko otoshi.
Les dix immobilisations sont organisées en rotation autour d’Uke. Les clés de bras sont regroupées en séries par rapport à la position d’Uke au sol (sur le dos, entre les jambes etc.). Des clés de jambe et de cou sont étudiées pour compléter un ensemble basé sur le jujitsu.
La méthode Kawaishi donne une place importante au ne-waza, comme la pratique du judo au Japon à cette époque (cf Mitsuyo Maeda, diplômé comme Kawaishi de l’université Waseda, à l’origine du jiu jitsu brésilien qui se déroule essentiellement au sol ou comme on peut le constater à la lecture de l’ouvrage « Judo Taikan » écrit par Jyôin (ou Tsunetane) Oda, une des éminences grises du Kodokan au début des années 1920 et qui consacre au Ne-waza plus de la moitié de son livre en deux volumes : 645 pages pour le nage-waza et 800 pour le ne-waza).
Cette méthode, pratique à utiliser, va faciliter la diffusion du judo en France. Tant que Kawaishi contrôle l’enseignement, le judo va être de qualité et beaucoup de ses élèves seront considérés comme des judokas de talent. Mais durant son retour au Japon (1944-1948), le développement du judo en France va se dégrader en qualité. Des ceintures de couleur ouvrent des clubs et enseignent la méthode Kawaishi sans comprendre ce qu’est le judo. Il en fera le constat dès son retour en 1948 : « Le judo en France s’est développé en quantité mais il n’a pas suivi la même progression en qualité*».
Dans les années 1950, sous l’impulsion de Kawaishi, le judo français se classe deuxième au niveau international. La France domine tous les pays d’Europe, y compris l’Angleterre où s’est développée la méthode dite Kodokan. Si la « Méthode Kawaishi » se diffuse à l’international grâce au rayonnement de la France dans le monde, elle essuie toutefois les critiques de certains détracteurs « trop visiblement désireux parfois de soutenir des adversaires possibles de la FFJ**» regrette le Président Bonet-Maury.
Jean Gailhat, Secrétaire Général de la Fédération s’insurge contre une certaine presse, manipulée par ces opposants : « Oui, M. Kawaishi a créé le judo français de toutes pièces. Sans lui, il n’y aurait pas de judo aujourd’hui dans la métropole, ni dans l’Union Française, pas de judo en Belgique, en Hollande, en Espagne, à Cuba… et bien sûr pas de controverses plus ou moins documentées et partiales. […] Oui, le palmarès de nos champions, tous formés directement ou indirectement par M. Kawaishi suivant la méthode française de judo, honore le sport français et illustre notre valeur combative et technique***».
Paul Bonet Maury, alors Président de la Fédération Française, écrit également : « Il est curieux de constater combien ce judo français, si âprement critiqué chez nous par quelques mécontents, plus entraînés à la polémique de presse et à la manœuvre politique qu’au judo de combat, jouit à l’étranger d’un grand prestige, comme je le constate à chaque voyage**** ».
Atteint par la maladie et très déçu par l’attitude de certains de ses plus anciens élèves, à qui il a appris à aimer le judo et à enseigner. Mikinosuke Kawaishi se retirera petit à petit de ses fonctions. Sa dernière apparition en public aura lieu lors des championnats du monde à Paris en 1961 où il recevra l’ovation de tout le stade de Coubertin. Malgré la disparition des rôles officiels de son fondateur, le judo français continuera à pratiquer la méthode Kawaishi. La mise au point par la Fédération de la progression française à la fin des années 1960 diminuera peu à peu la place de cette méthode qui a permis de faire connaître et s’initier au judo de nombreux pays du monde.
Norikazu Kawaishi 7ème dan
fils aîné de Mikinosuke Kawaishi 10ème dan fondateur du judo Français (1899-1969).
* Revue Judo N°3
** Judo, Bulletin de la FFJJJ n°44
*** Judo, Bulletin de la FFJJJ n°43
**** Judo Bulletin de la FFJJJ n°45
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